Christiane Alberti en quoi la question de l'image et de l'imaginaire intéresse la psychanalyse, la clinique ?
Christiane Alberti : L’imaginaire dans la clinique ne concerne pas seulement les images. Ce qui est au coeur de cette question dans la psychanalyse, c’est le rapport du sujet à son corps. Alors la question devient : comment un sujet peut-il à la fois habiter le langage et se supporter d’un corps vivant ? Pour le dire dans les termes du Discours analytique, comment concevoir le rapport au corps, dés lors que le langage introduit dans le vivant le parasite du langage ? La seule maladie dont nous souffrons, c’est la déchirure originelle que le symbole impose à l’organisme.
Alors comment la question de l'imaginaire surgit dans la clinique ?
Christiane Alberti : Qu’est-ce que le sujet fait de son corps ? Quel usage, il en fait ? A quelle distance, est-il de son corps ? Comment il en parle ? Le rapport au corps n’est pas à situer, entre le corps et le sujet, sur le mode de moi et mon corps mais il est interne au sujet. Le corps ne se laisse pas dominer par le signifiant (cela peut s’appeler, le refus du corps), il se présente comme un réel et toute la question est de savoir comment les sujets se défendent de ce réel. Comment le discours analytique traite la question ? La psychanalyse prend en compte ce qui se produit au joint le plus intime de la vie du sujet, à la jonction de l’image et de la jouissance du corps, essentiellement sexuelle. Lacan a amorcé très tôt sa réflexion sur le rapport du sujet à son corps. On peut même dire que c’est par cette porte qu’il est entré dans la psychanalyse. Lacan a considéré que le rapport à l’image de son corps dans le miroir, avait tout son poids dans le développement de la personnalité. L’attachement du sujet à l’image de son corps, quel que soit son sexe, vise à compenser la faille de la castration. De ce point de vue, nous pouvons dire le sujet aime son image. Il faut donner tout sa valeur à cette primauté de l’image dans le premier Lacan et en particulier nous autres lacaniens ne devons pas la perdre de vue. Nous avons tendance à la perdre de vue tant nous sommes rompus à la suprématie du symbolique, à l’imaginaire en tant qu’il est dominé par le symbolique. L’ordre symbolique se superpose à ce niveau primaire imaginaire et le surclasse. L’imaginaire est alors synonyme de leurre et il s’agit de traverser cet écran d’inertie, de le dépasser pour faire, advenir la relation symbolique entre le sujet et le grand Autre du langage et s’orienter sur elle. Or, cette primauté de l’image, si elle a l’air de passer au second plan, sous le règne du symbolique, Lacan ne l’a pas abandonné. Lacan est passé de « le sujet aime son corps du stade miroir » à « le parlêtre adore son corps ». Et ce n’est pas la même chose. Ce sera passionnant de découvrir pourquoi ? Et les formes cliniques qui peuvent se décliner à partir du destin de l’imaginaire pour chacun.
Nous entendons dans ce que vous dites un changement de paradigme quant à la prise en compte du corps dans l' imaginaire : quels effets dans la clinique contemporaine ?
Christiane Alberti : Nous verrons les implications et les changements qu’engendre le fait de considérer le rapport du sujet à son corps. Nous verrons comment dans certains cas de la clinique des psychoses, l’imaginaire permet de colmater une brèche, de trouver dans la matière du vêtement par exemple un bord, une consistance liée au corps. L’imaginaire, une image idéale, se superpose alors au vide, à la déchirure, sans être chevillée au corps, contrairement au fantasme. Aujourd’hui, à l’heure de la communication généralisée, le langage se réduit. Le signifiant est ramené au signe que l’on croit lire sur le corps, et on précipite, on cristallise une identification, tout en réduisant le sujet à son corps, à son habit, à sa couleur de peau, à son sexe…..En matière de sexuation, la tendance est à imposer une identité de genre qui fixe une réponse avant même que la question soit dépliée par le sujet avec le temps logique nécessaire pour comprendre. Le corps lui-même est réduit à l’habit et on introduit un forçage dans le sens de l’identité sexuée : c’est une fille. C’est au nom de cette réduction du sujet à son corps, que l’on reconduit tous, les racismes que l’on prétend combattre. La psychanalyse est une voie qui explore un trajet tout autre, où l’on approche au contraire un peu le réel qui git au cœur de son être, pas sans l’imaginaire. On l’approche mais pas sans l’autre, si comme le dit Lacan, « exister, ce n’est pas être, c’est dépendre de l’autre ».
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